Le Corbusier et l'île Radieuse
Le projet de livre jeunesse est né d’une discussion avec Vincent propriétaire d’une maison jumelle dans la cité. Lorsque ses grands-parents et ses parents achètent la maison à la fin des années 60, celle-ci est totalement transformée. L’escalier du salon est condamné et Vincent enfant, s’imagine que l’escalier est magique.
Cette anecdote a été le point de départ d’histoires que nous avons écrites avec Legoupil David, mais aucune d’entre elles ne nous a convaincus totalement. Avec le temps le projet s’est éteint. Parallèlement, je poursuivais mon travail sur les expositions de Le Corbusier. Au fur et à mesure de mes recherches, je voyais l’histoire du livre jeunesse se dessiner comme un conte fantastique où Le Corbusier serait un personnage central. Les anecdotes de la vie des Quartiers Modernes Frugès et de la vie de Le Corbusier se mêleraient pour construire un récit entre fiction et réalité. Un des habitants a bien construit un bateau dans son jardin!
Tout d’abord, il y a cette lettre écrite à sa mère datant de 1932 où Le Corbusier raconte une de ses nages homériques comme il aimait le dire.
«l’orage éclate formidable, j’étais près de la pointe aux chevaux. Je me déculotte ; je tasse mes effets sous un pin, à l’abri sous une souche et en petit caleçon de bain je pique une course vers le Grand Piquey. Arrivé là, la pluie tombait massive à tel point qu’on voyait à peine dans la masse d’eau croulante les courriers du Cap qui allait accoster. J’ai fait un beau beau plongeon du haut du débarquadère puis au milieu du chenal, au large suis descendu vers la pointe aux chevaux. L’eau tombait follement. Eclairs, tonnerre. J’étais entièrement seul. Jamais je n’ai pris un bain si clame. le martèlement de la pluie écrasait toutes vagues, je ne recevais dans la bouche que de l’eau douce. Je suis sorti de ce bain comme d’un rêve. »
J’ai associé cet épisode avec son accident survenu le 13 août 1938 au large de Saint-tropez. Un bateau de plaisance lui passe sur le corps et l’hélice entaille sa jambe. Ce dernier est secouru par des pêcheurs. Selon l’architecte, il a 2 mètres de points de sutures et un trou dans la tête.
Ces deux nages s’entrechoquent pour faire basculer l’aventure dans le fantastique avec la rencontre de son animal totem: Le Corbeau. Je voulais montrer la connexion de Le Corbusier avec la nature. Quand j’ai commencé à travailler sur l’architecte je n’avais pas du tout cette image de lui, ses séjours sur le bassin de 1926 à 1936 m’ont fait découvrir un autre Le Corbusier. Un homme empreint de doutes se questionnant sur la place de l’homme au sein de la nature. En 1929, il écrit que ce monde est dominé par l’argent et qu’il faut revenir à des choses simples plus en lien avec la nature. Cette réflexion me paraît essentielle pour construire un futur moins artificiel pour les générations à venir.
C’est par le biais de mon travail sur la cité Frugès que j’ai rencontré Benoit Lacou. Son oncle JER, dessinateur et voisin de la cité avait réalisé un dessin humoristique sur Le Corbusier et le quartier. J’ai filmé à plusieurs reprise JER dans le but de faire un film court et j’ai donc rencontré une partie de sa famille. J’ai parlé du projet à Benoit et il a tout de suite été séduit par l’idée de faire un projet lié à la cité Frugès. Gamin quand il rendait visite à son oncle, il rêvait de grimper, par l’escalier extérieur, sur le toit de ces drôles de maisons colorées.
Nous avons voulu avec Benoit que cette exposition montre le processus de création du livre : les claques préparatifs, les références liés à l’histoire, des carnets avec les premiers dessins, les séquences et les modélisations 3D qui nous ont permis de choisir les cadrages de certaines compositions. Ce projet a été une formidable aventure que nous voulions partager et rendre accessible. Personnellement, je n’aurais pas pu espérer avoir un meilleur illustrateur. J’ai écrit cette histoire à partir des images que j’avais en tête et Benoit a su les restituer à la perfection.
Hubert Bruno & Benoit Lacou